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Ce travail voudrait interroger l’« essence » de la vie en s’appuyant spécifiquement sur les analyses fournies par Théophile de Bordeu et Paul-Joseph Barthez, qui sont les deux grandes figures du vitalisme de l’École de Médecine de Montpellier au siècle des Lumières. Or, l’analyse des approches vitalistes de ces deux auteurs révèle à la fois des points de convergence et de divergence. Leur point commun est en effet leur opposition tant au mécanisme qu’à l’animisme. Cependant, nous observons qu’ils adhèrent à deux aspects de ces théories, notamment (1) l’existence de processus physicochimiques indispensables au maintien de la vie et (2) la présence d’une âme dont le siège éventuel fait débat. Toutefois, pour Barthez comme pour Bordeu, l’âme ne suffit pas pour expliquer ce qu’est la vie. En effet, pour eux, l’âme ne peut être à la fois « raisonnable-pensante » et « gérant » chaque processus du vivant. Il faut, en conséquence, qu’existe donc « autre chose » pour gérer la vie, de la cellule à l’organisme entier. Ainsi Barthez et Bordeu suggèrent-ils, respectivement, l’implication d’un Principe Vital et d’une Sensibilité Vitale, en tant qu’entité de nature non définie et ubiquitaire qui gérerait les processus vitaux indépendamment de l’« âme pensante ». Notre analyse indique, dans un premier temps, que la proposition d’un Principe Vital par Barthez est la résultante de ses réflexions sur les observations cliniques qu’il a faites ou dont il a eues connaissance, avant de faire remarquer que même si les réflexions barthéziennes s’apparentent quelquefois aux « intuitions métaphysiques », elles ont tout de même quelques bases liées à l’observation scientifique puisqu’elles portent en germe, entre autres, les notions actuelles de pharmacodynamie et d’homéostasie. D’autre part, notre étude s’est attardée sur l’hypothèse bordévienne de la Sensibilité Vitale, sur la base des expériences réalisées sur des glandes salivaires humaines. En montrant que le mouvement de la mâchoire n’exerce aucune pression sur la glande et qu’en conséquence le processus d’excrétion vient de l’intérieur de cette glande, Bordeu conclut que l’induction de la sécrétion-excrétion est plutôt liée à la sensibilité propre de la glande et étend sa conclusion à toutes les glandes. D’où, sans le dire à l’époque, l’esquisse du concept d’endocrinologie ; et d’autres travaux de Bordeu suggèrent par ailleurs l’importance du système nerveux et de la transmission nerveuse. Ainsi, Bordeu écarte le concept de Principe vital et défend l’idée que l’induction de l’excrétion est liée à la Sensibilité propre à chaque organe du corps. Il résume sa pensée par la métaphore de l’« essaim d’abeilles », pour laquelle le tout est plus que la somme des parties. Nous concluons, enfin, à la pertinence de ces deux théories vitalistes constituées chacune de deux triades ayant en commun l’âme pensante et le corps auxquels s’ajouterait pour Bordeu la Sensibilité Vitale et pour Barthez le Principe Vital. Nous observons que ces deux théories sont toujours d’actualité puisque d’autres approches vitalistes apparaissent et sont qualifiées de néovitalistes.