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L’universalité des “règles” qui régissent les conversations humaines, comme le respect du tour de parole, suggère de possibles bases biologiques à ce comportement. Au travers d’une revue de la littérature, nous avons révélé qu’à l’image de nos conversations, les échanges vocaux de vocalisations de contact de la plupart des primates non-humains respectent des règles sociales et temporelles. Notamment, les interlocuteurs, choisis sur des critères sociaux, alternent leurs émissions vocales tout en évitant de se couper la parole. Ces échanges permettent de créer et consolider des relations affiliatives. Toutefois, les grands singes sont peu représentés dans la littérature disponible sur ce sujet, malgré l’intérêt comparatif qu’ils représentent de par leur proximité phylogénétique avec l’humain et la diversité de leurs systèmes sociaux. Ce projet vise donc à décrire les règles d’interactions vocales chez les grands singes non-humains : bonobos (Pan paniscus), chimpanzés (Pan troglodytes), gorilles des plaines de l’Ouest (Gorilla gorilla gorilla) et orangs-outans de Bornéo (Pongo pygmaeus). Dans un premier temps, une approche expérimentale a permis de vérifier l’importance du respect du tour de parole lors des échanges vocaux pour les gorilles et de souligner un rôle possible de l’apprentissage social dans l’acquisition des règles appropriées d’interaction. Ensuite, une approche observationnelle menée sur un groupe de chimpanzés captifs a, au contraire, souligné l’extrême rareté des tours de paroles, au profit d’interactions vocales de type chorus et de fréquentes émissions de cris isolés associées à la régulation des conflits. Enfin, une approche comparative des quatre espèces, mêlant des données provenant de la littérature à nos propres résultats, a suggéré que l’organisation temporelle des interactions vocales est sous l’influence de caractéristiques sociales telles que le degré de socialité et de tolérance intra-groupe, comme le souligne l’existence d’échanges vocaux organisés chez les gorilles et les bonobos. La découverte d’échanges vocaux organisés chez les grands singes permet de compléter l’arbre phylogénétique de cette capacité langagière. Des investigations comparatives supplémentaires restent à mener afin d’affiner nos connaissances quant aux multiples et subtils facteurs sociaux ayant favorisé l’émergence de ce comportement interactionnel.