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Cette thèse entend relire la critique nietzschéenne de la morale, trop souvent interprétée par certains comme un “immoralisme absolu“ et par d’autres comme “une morale immoraliste“ : ce qui au fond revient, nous semble-t-il, à dire une seule et même chose puisqu’une morale d’essence immoraliste n'est ni plus ni moins qu’un pur immoralisme. Il convient donc de remarquer que toutes ces interprétations aboutissent à un véritable consensus dans la manière de comprendre le sujet en débat et de résoudre le problème épistémologique qui y est lié. Étant donc foncièrement d’avis que la différence présentée par ces interprétations se limite essentiellement à des détails conceptuels qui au fond ne changent pas la conclusion principale et commune à laquelle elles aboutissent toutes, nous tentons de démontrer que celles-ci inscrivent inconséquemment la morale de Nietzsche dans une guerre sans fin avec la morale du socrato-platono-christianisme, dont Nietzsche affirme pourtant l’avoir complètement surmontée. Or, en inscrivant indéfiniment Nietzsche dans ce combat insurmontable avec la morale traditionnelle, on en vient à réduire sa critique à une pure et simple réfutation plutôt que d’en faire véritablement l’art de la substitution que Nietzsche lui-même revendique à l’envi. Ce qui contraste fondamentalement, somme toute, avec les prérogatives de la nouvelle et authentique philosophie telle que Nietzsche la conçoit : une activité essentiellement créatrice de nouvelles valeurs, et non pas une simple destruction des anciennes valeurs. En distinguant chez Nietzsche deux postures axiologiques à la fois différentes et complémentaires, dont la première se veut fondamentalement immoraliste et la seconde moraliste, nous soutenons en revanche que la morale de ce dernier n’est pas, rigoureusement parlant, en lutte avec celle du socrato-platono-christianisme que son immoralisme s’était pourtant déjà chargé de démolir. L’argument fondamental de notre thèse voudrait donc démontrer qu’en utilisant le terme “immoraliste“ pour se l’appliquer à soi-même d’une part et pour magnifier la portée éminemment morale de sa négation de cette morale métaphysique et nihiliste d’autre part, Nietzsche ne fait rien d’autre que louer la morale et en dire la nécessité infinie. D’où la nouvelle hypothèse interprétative d’un « immora-lisme-moralisant » que cette thèse esquisse en lien profond avec les postures axiologiques de Nietzsche en présence, et que nous proposons par ailleurs de substituer à toutes les hypothèses interprétatives antérieures. Tester cette hypothèse demande dès lors d’interroger le véritable statut axiologique de la destruction et de la création chez Nietzsche, c’est-à-dire examiner attentivement sa double critique de la morale, critique immoraliste d’une part et critique moraliste d’autre part, dont le centre de gravité est constitué par une opposition implacable autant à la métaphysique qu’au nihilisme. C’est montrer par la suite que cette double critique de la morale se structure en une question de la liberté, puisque Nietzsche pose cette dernière à la fois comme une condition de possibilité et un aspect constitutif de la création de nouvelles valeurs qui détermine “la philosophie de l’avenir“. Ce qui conduit, enfin, à conclure que la problématique nietzschéenne de la morale et cette question de la liberté forment un nœud inextricable d’autant plus que la vocation première et fondamentale de Nietzsche consiste, d’une part, à libérer les forces et les puissances vitales du carcan de la morale métaphysique et nihiliste qui les gêne et les étouffe ; et, d’autre part, à élever un nouveau type d’humanité qui est « appelé à porter un jour le type de l’esprit libre à son point parfait de maturation et de succulence ».