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Le phosphore (P) est un nutriment essentiel dans le contrôle de l'eutrophisation des eaux de surface. La majorité du P causant cette eutrophisation dans les pays occidentaux est aujourd'hui issu des sols agricoles, ce qui explique pourquoi les recherches actuelles sur l'eutrophisation se focalisent sur la compréhension des mécanismes par lequel le P est relargué de ces sols. Dans cette thèse, nous étudions ces mécanismes en nous focalisant sur la fraction dissoute (DP) du P, fraction la plus menaçante du point de vue de l'eutrophisation. Une double approche a été utilisée, combinant le suivi de la composition d'eaux du sol et d'eaux de ruisseau dans un petit bassin versant (BV) agricole représentatif (BV de Kervidy-Naizin, France) et des simulations expérimentales au laboratoire. Les suivis de terrain ont révélé que les zones humides ripariennes (RW) étaient les principales zones de relargage de DP dans le BV étudié, via deux mécanismes essentiellement déclenchée par les fluctuations des hauteurs de nappe, i) la réhumectation des sols (DRW) et ii) la dissolution réductrice des oxydes de fer du sol dans de périodes d'anoxie. Ces mêmes suivis ont révélé la présence de fortes variations spatiales de la nature chimique (inorganique et organique/colloïdale) du DP relargué. Les variations saisonnières et interannuelles de l'hydroclimat, combinées aux variations locales de topographie ont été démontrées être les deux facteurs principaux contrôlant i) la fréquence des épisodes DRW, et ii) la durée des périodes anoxiques, entraînant au final de fortes variations saisonnières et interannuelles de la dynamique de relargage du DP. Comme indiqué dans un modèle conceptuel général, la topographie est sans doute le facteur clé de contrôle des variations observées, en raison de son rôle sur i) le transfert de P à partir des parcelles agricoles amont, ii) le taux de minéralisation du P organique du sol P et iii), le déclenchement des deux mécanismes de relargage précités. Les expériences en laboratoire ont confirmé le rôle des événements DRW comme processus clé causant le relargage de DP dans les RWs. Les résultats ont démontré que le DP relargué consistait non seulement de "vrai" DP inorganique et organique, mais aussi de P colloïdal, le P colloïdal et le DP organique étant les plus réactifs aux événements DRW. Les données ont aussi révélées que ces différentes formes de P provenaient de différentes sources dans le sol (méso et macroporosité pour P colloïdal et le DP organique; microporosité pour DP inorganique), et que la quantité de P colloïdal relargué était positivement corrélée avec la teneur en matière organique et la taille de biomasse microbienne du sol. Ces mêmes expériences ont confirmé le rôle des conditions anoxiques comme conditions favorisant la libération de DP dans les RWs. La dissolution réductive de sol Fe-oxyhydroxydes n'est cependant pas le seul processus impliqué, un autre processus étant la hausse du pH causée par des réactions de réduction. Les résultats obtenus démontrent que l'augmentation de pH contrôle la libération de DP dans les sols riches en matière organique, alors que ce relargage est contrôlé principalement par la réduction des oxydes de fer dans les sols pauvres en matière organique. Les données expérimentales démontrent également que l'apport de sédiments issus des sols agricoles amont accroit le relargage de DP dans les RW, probablement en raison de la dissolution des oxydes de fer de ces mêmes sédiments par les bactéries ferroréductrices des Rws. Au final, cette thèse permet de mieux contraindre les mécanismes et facteurs responsables du relargage de DP dans les bassins versants agricoles. Une conséquence très pratique de ce travail est que la conception de stratégies pour limiter les fuites de DP dans ces bassins ne peut se faire sans une prise en compte des rôles de l'hydroclimat, de la topographie locale et des propriétés du sol sur ce relargage.