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L’œuvre de Kierkegaard se présente sous une forme poétique, non seulement par les fictions qu’il produit, mais encore par les pseudonymes auxquels il donne la parole et qui confèrent aux textes les plus conceptuels l’apparence fictive d’un discours subjectif. La forme poétique n’est donc pas un jeu arbitraire. Elle répond aux exigences de la pensée de l’existence : une pensée subjective, car l’on n’existe pas dans l’abstraction, où il s’agit de se comprendre soi-même dans l’existence. Une pensée existentielle n’est pas un savoir objectif qui peut être transmis directement : elle nécessite une communication indirecte. Tel est le rôle de la forme poétique. Son emploi est donc essentiellement philosophique, et ne fait pas de Kierkegaard un poète. Du poète, il s’agit, au contraire, de dénoncer l’illusion, en particulier celle du romantique. Confondant la possibilité et la réalité, le poète plane au-dessus de sa propre existence. Il faut alors de l’ironie pour libérer l’individu d’une telle illusion et l’amener au commencement de la vie personnelle, d’une existence éthique. C’est pourquoi la forme poétique est, ici, ironique ; il s’agit de parler la même langue que ceux à qui l’on s’adresse, un langage esthétique, afin de les amener à une pensée véritable d’eux-même : tromper en vue du vrai. Fondée philosophiquement pour utiliser la possibilité, qui est sa forme, en vue de la réalité, qui est son horizon éthique, la poétique kierkegaardienne peut ainsi présenter à l’individu les déterminations dialectiques de l’existence, et l’ouvrir au passage de la possibilité à la réalité : un saut qualitatif, une décision qui n’appartient qu’à lui. Grâce à la forme poétique, la pensée subjective se fait maïeutique ; l’auteur s’efface pour laisser la place à celui dont parle la fiction et à qui elle s’adresse, celui que l’auteur veut éveiller à lui-même : l’individu singulier.