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Traduit en français en 2017, l’ouvrage séminal de la sociologue Arlie Russell Hochschild, The Managed Heart (1983), approfondit le « travail émotionnel », un concept ensuite repris dans plusieurs champs disciplinaires et contextes d’étude, et qui est au coeur des exigences émotionnelles identifiées par Gollac & Bodier (2010) comme un des facteurs de risques psychosociaux (RPS). Haut lieu d’émotions, où l’« extra-ordinaire » (la maladie, la souffrance, la mort) fait partie du quotidien, l’hôpital est un environnement particulier pour effectuer le travail émotionnel. Ce dernier suppose (1) de gérer ses propres émotions, (2) d’afficher ou d’exprimer certaines émotions pour agir sur celles du patient, (3) en se conformant à certaines « règles émotionnelles », (4) dans un cadre pétri d’une charge émotionnelle variable. Cette thèse vise l’approfondissement du concept de travail émotionnel à l’hôpital : sa caractérisation, sa définition ainsi que les leviers d’action organisationnels susceptibles de faciliter sa réalisation et d’agir sur ses conséquences. Le travail de terrain a été mené dans un CHU auprès de médecins, d’infirmières et d’aides-soignantes dans des services de soins, relevant de différentes spécialités médicales (urgences, gériatrie, rééducation, neurologie), et accueillant des patients vulnérables ou dépendants. Il repose sur une production de données combinant entretiens, observation directe / observation participante et analyse de documents internes. Les résultats émergeant du travail empirique éclairent le travail émotionnel hospitalier dans un cadre français, son importance pour le professionnel de santé et pour le patient. Ils mettent en avant plusieurs éléments : la nature des « règles émotionnelles » dominantes, la modulation de leur appropriation par les professionnels de santé, les différences de charge émotionnelle entre services, la « pénibilité émotionnelle », des indices de fatigue de compassion (un concept qui diffère de l’épuisement émotionnel), le rôle du travail émotionnel dans la prise en charge du patient. Les leviers d’action organisationnels soulignés sont multiples. Il s’agit (1) d’assurer un socle commun de connaissances/compétences par des formations ciblées et/ou transversales, de faciliter les possibilités de self-care et (2) d’encourager les pratiques « vertueuses » que sont les dynamiques de soutien social, l’aménagement de moments de coupure, l’instauration des conditions temporelles et matérielles d’une régulation émotionnelle collective et la réaffirmation de la place du patient dans le service.